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Cette fois, il n’ y a plus doute…
L’automne s’est bien installé sur la capitale. Les feuilles s’envolent au vent dans les parcs et les jardins parisiens…
Même la douceur s’en est allée. Elle a laissé place à des journées fraiches et pluvieuses.
Je continue de fréquenter le O’Sullivan pour travailler sur mes chroniques…
Mais désormais, je suis bien plus à mon aise sous la chaleur des bruleurs.
Mon job à la banque de la rue Bergère se passe relativement bien. Avec Zahara nous formons une très bonne équipe. Sa bonne humeur est communicative et depuis peu nous sommes devenus de véritable confidents l’un pour l’autre.
Zahara connait tout de ma passion pour l’écriture, il lui arrive même d’être ma première lectrice pour quelques chroniques ou des passages de mon roman, « Le Royaume de Faery ».
Il y a quelques jours, nous avons enfin rencontré la redouté Madame Zeitoun.
Je dois admettre que cette femme m’a déçu… Elle n’est pas à la hauteur de sa légende.
C’est une petite dame pimpante. Elle s’est présenté à nous avec un grand sourire…
Malgré tout, nous gardons une méfiance envers elle. Il lui arrive, certains matins, d’être froide et peu aimable.
Il se pourrait que sa part d’ombre dorme encore.
Madame Zeitoun rode beaucoup autour de l’accueil… Elle nous observe.
Au fond d’elle, elle aimerait surement déceler une faille, une erreur, une maladresse pour montrer ses griffes.
Malheureusement pour elle, mon binôme avec Zahara est un vrai succès.
Les collaborateurs de la banque nous apprécient, les réunions s’enchainent sans encombres et nous effectuons toutes nos tâches avec professionnalisme et sérieux.
Ces derniers temps, je n’arrive plus à écrire mon roman « Le Royaume de Faery ».
Rien… Pas un mot, pas une péripétie pour mes héros.
Pourtant les après-midi, le hall de la banque est calme et c’est le moment idéal pour rejoindre mes personnages dans leurs aventures.
Il n’ y a pas un jour où je ne tente pas de me replonger dans les brouillons, les développements ou dans les chapitres inachevés…
Mais rien…
On dirait que mon esprit bouillonne encore, inspiré par ce Royaume inventé, mais qu’en revanche mes mains ont décidé de faire de la résistante…
Mais pourquoi ? Pourquoi mes mains, mon coeur et ma tête ne travaillent plus ensemble ?
Je pourrais m’en inquiéter mais au lieu de cela je me concentre sur mes chroniques et mon blog.
Romain avait raison, écrire à côté de son travail d’auteur aide grandement à ne pas perdre le fil.
Cela me permet de garder une rigueur dans l’écriture… Même si « Le Royaume de Faery » est en pause, je continue de créer et de jouer avec les mots quotidiennement.
Mon blog compte chaque jour de nouveaux lecteurs. Je dois l’admettre, je suis assez surpris d’être lu et suivi par des inconnus…
Habituellement mon seul public s’avère être mes amis. J’aime cette sensation, ce nouveau rapport que je peux avoir avec l’écriture.
C’est grisant d’avoir une visibilité… Même si je sais que la mienne est toute relative puisque j’ai fidélisé une trentaine de personnes.
Cette poignée de lecteurs attend la chronique de la semaine et cela m’aide à tenir ce rendez-vous.
Malgré cette petite victoire, je suis inquiets…
Et si dans le fond je m’éloignais de mon véritable travail d’auteur ?
Mon objectif n’est pas de devenir un simple chroniqueur passant son temps à s’introspecter. Je veux raconter des histoires, faire vivre des personnages et des lieux inaccessibles.
Ce soir, j’écris la prochaine chronique de mon blog près de ma fenêtre…
Je regarde l’automne balayer les dernières couleurs que Paris possède encore.
On sonne à ma porte.
Sémy s’est arrêté par chez moi.
Il aime beaucoup passer me voir lorsqu’il avance sur ces projets ou qu’il a besoin de conseils sur ses écrits.
Avec le années, nous avons développé une complicité artistique assez inébranlable… Il lis souvent mes brouillons en avant première et je suis devenu son premier spectateur pour ses scénarios.
Sémy n’hésite jamais à me jouer les scènes des scénarios qu’il écrit.
Il se lance parfois dans de véritables instants théâtraux qui peuvent durer plusieurs minutes.
Je l’écoute avec attention… J’acquiesce... parfois je propose de nouvelle piste ou j’interroge ses choix artistiques.
Sémy m’épate toujours. Il a une vraie facilité pour mener à bien ses projets, ses histoires… Il est toujours convaincu par son travail et il possède une aisance pour vous le partager.
Si seulement je pouvais être aussi habité par mes propres récits.
Je crains que mon Royaume fantastique ne se noie peu à peu.
Et si j’avais vu trop grand ?
Et si cette histoire était trop ambitieuse ?
Mais pourquoi ? Pourquoi mes mains, mon coeur et ma tête ne travaillent plus ensemble ?
Chronique n°10 :
Vous avez certainement entendu parler de la bosse de l’écrivain ?
Elle naît de l’appui incessant d’un stylo sur votre majeur… C’est bien connu, les accros des mots, des ratures et des chiffonnages de papiers, sont de véritables tyrans avec leurs mains.
J’ai malmené les miennes très jeune, bien avant de savoir écrire. Au jardin d’enfants, je voyais mes camarades si talentueux, créant les futurs oeuvres d’art de demain : Ficelant des colliers de nouilles, modelant des pots en terre cuite.
Moi ?... J’étais nul, peu créatif et pas du tout artiste... En somme, une catastrophe. Mes mains ne servaient à rien ! La fée des pinceaux ne s’était pas penchée sur mon berceau. Mais ce jour là, j’ai trouvé une utilité bien plus grande à mes celles-ci… : J'ai commencé à les dévorer.
Je me suis mis à me ronger les ongles sans fin, en me demandant si ces mains allaient un jour me servir. Puis, j’ai appris à écrire. Dès ce jour là, cette lubie ne m’a plus vraiment quitté. Mon envie de créer me frustrait tellement que je m’en dévorais toujours autant les doigts… Je pensais perdre un jour cette mauvaise habitude. Mais la vie a entretenu ce petit rituel… Je me rongeais les ongles en cours de maths au lycée, en cours de découpage filmique à l’université, avant un entretien d’embauche et même avant une facture à payer…
Après des années d'écriture et de gribouillages, j’ai fini par la remarquer… Ma deuxième petite mutilation : ma bosse de l’écrivain. Celle que tous les écrivains, amoureux des feuilles et des crayons, possèdent. La mienne ne se trouve pas sur le majeur, mais sur mon annulaire. J’ai toujours eu une façon étrange de tenir mes stylos depuis l’école.
Aujourd'hui, nos sociétés modernes ont apporté à l’écrivain des moyens bien plus novateur pour écrire. Mais bon nombre d’entre eux aiment encore les ratures et les tâches d’encres sur le papier. J’en fais partie… Mais peut être pas pour toujours.
Oui, la bosse de l’écrivain est en voie d’extinction. Elle sera certainement remplacée par une bonne cataracte ou une arthrose précoce, sponsorisées par un grand nom de l’informatique.
Tout cela, nous amène à un autre sujet… Ou plutôt, une réponse à une question qui m’a été posée récemment. Je suis persuadé que vous avez déjà eu à y répondre de nombreuses fois : Que regardez-vous en premier chez quelqu’un ?
C’est un rituel un peu absurde pour beaucoup de gens… Mais, depuis toujours, mon regard se pose sur les mains.
Ironique n’est ce pas ? Surtout quand on sait dans quel état sont les miennes.
Ce que j’aime chez elles, c’est ce jeu de miroir qu’elles nous offrent sur une personne avant même de la connaître. Elles peuvent révéler tellement de choses dans leur manière d’agrémenter une conversation ou leur façon d’afficher au grand jour (parfois timidement) des marques d’anxiété et de stress.
J’aime cette idée que le langage et le partage naissent dans les mains, dans celles qui se passionnent pour les mots ou celles qui savent s’offrir à un inconnu… à un ami. L’amour n’est sincère que lorsqu’il est couché sur une caresse. L’art n’est beau que dans l’habileté des doigts caressant les cordes d’une guitare, les touches d’un piano, tenant avec agilité des pinceaux aux couleurs infinies ou un stylo au phrasé envoutant…
Je regarde toujours les mains car je pense que notre coeur est dans leur creux. Nous devons leur donner l’occasion de partager cet amour…
Aujourd’hui, je peux le dire, j’ai traversé bien des tempêtes avec ces demoiselles… Et même si les gens les ont blessées, je sais désormais pourquoi je les aime tant…
Leurs ongles abîmés, leur bosse grossière… Je m’en moque… Parce qu’elles ont enfin crée… Ma vie.
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