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Grâce à Romain, j’ai finalement retrouvé un travail.
Je vais être hôte d’accueil dans le siège international d’une grande banque.
Mon rendez-vous est à 9 heures dans le grand hall… Mais comme j’ai la phobie d’être en retard je suis déjà devant les portes de la banque à 7h30.
Sur la rue d’en face, il y a un pub irlandais plutôt cosy : Le O’Sullivan.
Je décide de m’installer sur la terrasse et de commander un café.
J’essaye de profiter de ce moment de calme où Paris est encore légèrement endormi pour écrire sur mon carnet…
Mais le stress de la journée qui s’annonce est si prenant que les mots qui sortent de mon stylo sont assez pauvres et peu pertinents.
Il est 9 heures.
Je me rends dans le grand hall du 14 rue Bergère. Je pensais que quelqu’un m’accueillerais mais en réalité… Rien.
Je me retrouve au milieu des banquiers et des traders qui se bousculent et je tente tant bien que mal de rejoindre l’accueil.
Au comptoir, j’aperçois deux jeunes femmes qui semblent assez débordées.
Je me présente et découvre avec stupéfaction qu’elle ignoraient que je commençais aujourd’hui.
« T’as interêt à nous écouter et à être attentifs mon gars parce que demain on est plus là ! »
Une fois les présentations faites avec Sofia et Aurélie, Je réalise que je vais me retrouver seul à ce poste assez rapidement.
Elles ont beau m’expliquer comment fonctionne le logiciel de réservation de salles, la gestion des appels, la gestion des clés de salles ou encore le démarrage des visioconférences avec Londres, Berlin, Amsterdam et Tokyo… Toutes ces informations sont bien trop denses et trop rapidement évoquées…
J’ai déjà mal à la tête et il n’est que 9h45.
« Mais le plus important si tu veux pas prendre la porte ou te faire décapiter sur place, c’est ça !… »
Sofia pointe le portrait d’une dame scotché sur le comptoir, il est écrit en dessous en grosse lettre et au marqueur rouge : OUVREZ LUI !!!
« Elle, c’est madame Zeitoun, c’est la grande boss du bâtiment ! Elle exige qu’on lui ouvre toujours les portiques de sécurité pour accéder aux étages. Elle ne s’arrête jamais devant l’accueil alors tu as interêt à être réactif. Si elle se prend un portique en pleine face, tu seras viré immédiatement ».
Sofia me raconte qu’au moins dix personnes ont perdu leur place à l’accueil à cause de cette femme.
Elle a beau paraitre souriante et sympathique sur la photographie, je me rend compte qu’elle sera certainement mon pire cauchemar pour les semaines à venir… Et j’appréhende déjà le moment où je la rencontrerai.
Voilà, ma première journée se termine… Aurélie et Sofia rangent leurs affaires et délaissent leurs uniformes d’hôtesses d’accueil.
J’ignore quel est leur futur projet de vie… Nous ne sommes pas assez proche pour que je leur pose cette question.
Mais vu la satisfaction et le soulagement dans leur regard… C’est pour un avenir meilleur, ça ne fait aucun doute !
« Tiens ! voilà les clés de l’enfer ! »
Aurélie me lègue son énorme trousseau de clé…
Pour être honnête, j’ignore (pour la plupart d’entres elles), les portes qu’elles sont censées ouvrir.
Nous nous quittons sur Grand Boulevard alors que le soleil commence à décliner.
Malgré le soulagement d’avoir retrouvé un travail, je m’inquiète des jours qui vont suivre…
Et j’ai surtout peur de rencontrer Madame Zeitoun.
J’ai pris rapidement mes marques à la banque…
Ce ne fut pas chose aisée j’en convient.
Les premiers jours, on me criait beaucoup de dessus… Visiblement la patience et l’indulgence ne sont pas des qualités très appuyés chez les employés du 14 rue Bergère.
Heureusement j’ai un collègue qui m’a porté secours.
C’est un classeur appelé : Procédures et codes d’accès.
C’est d’ailleurs devenu ma lecture favorite… Un pavé assez indigeste qui, une fois décodé, peut réellement sauver des vies.
Je n’ai toujours pas rencontrer la redoutée Madame Zeitoun…
Elle n’a même pas eu la décence de m’accueillir ou de me souhaiter la bienvenue dans ce nouveau travail.
Malgré cela ma vigilance reste entière… Je crains toujours le jour où elle passera par l’accueil…
Aujourd’hui, après des moments assez laborieux et une charge travail plutôt dense, j’ai le sourire.
Une nouvelle collègue, en chair et en os, va venir me porter main forte.
Comme chaque matin maintenant, je m’arrête prendre mon café au O’Sullivan.
Je profite toujours de ce temps pour retoucher mes chroniques ou griffonner des idées pour le Royaume de Faery.
A 8h30, je me dirige vers la banque, et là, les choses sérieuses commencent.
Les rendez-vous, les appels, les réunions, les réservations de salles, de taxis, de trains s’enchaînent.
J’accueille ma collègue Zahara dans une ambiance assez stressante… Semblable à celle que j’ai connu le jour de mon arrivée.
Mais contrairement à mes anciennes formatrices, j’essaie de garder le sourire et tout faire pour que Zahara se sente à l’aise dès son premier jour.
Une fois passée 13h, l’accueil de Bergère devient calme.
L’immense hall se vide et je profite souvent de ce temps pour me replonger dans mes écrits.
Bien évidemment aujourd’hui j’utilise ce répit pour faire connaissance avec mon nouveau binôme.
Zahara a une personnalité proche de la mienne.
C’est une fille solaire, toujours prête à rigoler et plaisanter… Et tout comme moi elle est d’un naturel discret.
Très vite je me sens en confiance à ses cotés et je lui parle de mes passions… L’art et l’écriture.
Nous sommes tous les deux dans la même galère et espérons vite trouver mieux que ce job pour nos carrières futures.
Durant cette première journée, je me dois également de parler de NOTRE tâche la plus importante…
Celle qui assure notre survie au quotidien :
Ouvrir systématiquement les portiques à Madame Zeitoun.
J’entretiens la légende urbaine alors que je n’ai même pas rencontré cette femme.
Le soir, lorsque je quitte le 14 rue Bergère, je repasse par la station Auber pour rentrer chez moi.
Je m’arrête toujours un moment pour discuter avec Pépé et lui céder un de mes tickets restaurant.
Je suis heureux de l’avoir retrouvé… Comme du temps où je travaillé chez Manoli.
Désormais Pépé ne voit plus comme un privilégié, il sait que je suis un artiste sur le fil…
Une âme qui tente de garder la tête hors de l’eau dans les impitoyables tourments de Paris.
A 21h, toute notre bande se retrouve chez Sémy… L’occasion de partager quelques pizzas premier prix et des boissons bourrées de sucre.
Comme j’ai pas mal avancé sur les chapitres de mon roman, j’en profite pour présenter quelques ébauches à mes amis.
Sémy se confie sur son scénario… Un véritable défi puisqu’il se lance pour la première fois dans l’écriture d’un long métrage.
Eva nous parle des morceaux qu’elle prépare avec un des amis musiciens…
Fred est près de la fenêtre pour pouvoir fumer, il nous écoute d’une oreille mais il est plongé dans sa peinture qu’il a amené avec lui pour l’achever.
Il n’y a que Romain qui est silencieux…
Etrangement il ne nous partage jamais ses travaux ou ses inspirations. Il reste mystérieux. Il se contente de nous conseiller et de nous épauler.
Je sais pourtant qu’au fond de lui dorment les mêmes doutes, que son esprit bouillonne d’histoires et de projets tout aussi légitimes que les nôtres.
Notre bande s’est bien trouvée dans cette course utopique…
J’aimerai me convaincre que nous attendrons nos rêves…
Que nous serons fiers de nos travaux et de nos créations.
Je me demande si nous sortirons-nous un jour de nos appartements exigus ?
Si nous arrêterons de travailler dans des jobs qui empiètent sur notre art ?
Cette vie précaire n’est malheureusement pas réservée qu’aux artistes… Elle court partout dans les boulevards de Paris.
Elle n’épargne personne… Et pourtant c’est grâce à nous que cette ville prétentieuse brille chaque soir.
La vie à Paris est si injuste parfois… Les temps sont durs, les loyers sont chers et les rêves souvent diffus.
Une nouvelle chronique sur ce thème s’impose…
Chronique n°9 :
Je ne pensais pas que l’automne reviendrait aussi vite sur la capitale… Que les feuilles se terniraient et que le soleil se mettrait en intérim. Je ne pensais pas que cette rentrée serait aussi difficile.
Je sais que ma famille ne comprendra jamais ce besoin d’être entre deux vies… Souvent sur la brèche… J’en assume les conséquences. J’ai fait ce choix, celui de vivre avant tout pour mes projets… Je me suis promis de ne jamais laisser l’écriture au bord d’un chemin comme je l’ai souvent fait par lâcheté.
Les temps sont durs… A bientôt 24 ans, je vis toujours dans un minuscule studio hors de prix. Je prie sainte Marie du capitalisme chaque soir pour que mon loyer n’augmente pas ! Même si l’art est ma force et l’écriture ma vie, je dois reconnaître que les fins de mois sont souvent difficiles et aléatoires.
Dans ma course matinale au milieu des parisiens stressés, Il m’arrive souvent de croiser Pépé à la gare d’Auber. Il est là, chaque jour, avec son vieille orgue qui a certainement vu plus d’hiver que tous les couloirs du métro. Diego, son chien, assis sagement à ses côtés… Il l’écoute jouer et rejouer, pour un ticket resto, devant les grands magasins où se pressent les touristes et les parisiennes emmitouflées dans leurs fourrures.
L’été passé, lorsque je travaillais chez Manoli au Printemps Haussmann, je croisais souvent Pépé et Diego. Je leur laissais, furtivement, un ticket resto. Je me doute que ce n’est certainement pas grand-chose. Mais je savais qu’ainsi, mes deux amis rejoueraient à mon retour, le lendemain, sur les grands boulevards.
A ses yeux, j’étais un parmi tant d’autres. Il devait certainement me prendre pour un garçon de bonne famille avec mes cheveux impeccablement coiffés et mes vêtements Manoli de la tête aux pieds. Il me remerciait poliment tout en continuant sa balade. Il rejouait de vieux airs de la chanson française, tout aussi clichés que populaires. En quittant Manoli et les grands magasins, j’ai perdu Pépé et Diego de vue…
Alors que je risquais de me retrouver sans emploi, je m’interrogeais sur la fragilité du monde. Sur l’incertitude qui habille nos aspirations et nos projets.
Qu’est ce qui a causé la chute de Pépé ? Quel instant de sa vie a été fatal à son toit et sa sécurité ? L’art me mène t-il inévitablement sur le chemin d’un orgue de Barbarie chantant ma précarité ?
J’aurais aimé réussir à l’école pour ma famille. Faire de longues études, devenir médecin ou avocat, dentiste ou banquier… Je les déçois chaque jour, je pense…
J’avance à l’instincts. Je m’engage sur des passerelles fragiles, vacillant au dessus d’une vie quasi-ratée.
Par chance je me relève toujours… Du moins jusqu’à aujourd’hui.
Depuis peu, j’ai retrouvé un travail… J’ai aussi retrouvé Pépé sur les grands boulevards. Désormais, je ne suis plus un parmi tant d’autres… Peut-être a t-il compris que ma vie est aussi aléatoire que la sienne… Que je survis dans ce monde sans vraiment y être intégré…Que nous sommes des frères d’orgues esseulés qui s’entre-aide à coup de tickets-resto…
La vie dans cette grande ville est si injuste… Lorsque l’on oublie un instant les grands monuments, les magasins et les costumes-cravates, on se rend compte que nous sommes tous en train de jouer de l’orgue avec Pépé et Diego… Pendant que l’élite se moque de la misère montante…
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