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Je sais que je joue probablement ma dernière carte…
Aujourd’hui j’ai pris le métro de très bonne heure pour me rendre Boulevard Haussmann. C’est ma première journée sur le corner de Manoli.
Je suis arrivé bien tôt… Trop tôt.
Les portes du Printemps sont encore fermées.
Ce n’est pas grave !
Je m’installe dans un café qui borde la rue. J’y commande un café-crème et un croissant. Je m’installe sur la terrasse.
Il fait beau… C’est une magnifique journée d’été qui s’annonce. Malheureusement, je vais la passer sous les néons brulants des magasins.
Entre deux gorgées de cafés, je sors mon carnet déjà bien rempli… Celui où je rassemble toutes mes idées concernant le Royaume de Faery.
L’inspiration ne me quitte plus ces jours-ci. Je ne vais pas m’en plaindre… Bien au contraire.
Je suis serein, habité par cette effervescence qui donne un but, une direction claire à mon existence.
Je retrouve enfin cette belle lueur d’espoir. Cette promesse de mettre en avant mon art… De lui offrir toute ma lumière et toute la place qu’il mérite.
J’ai à coeur de réussir mon métier de vendeur… Et de prouver à Natalia que je suis quelqu’un de capable.
Mais le vrai bonheur qui anime mon coeur ces derniers jours, c’est les enfilades de mots qui consolident l’univers de mon roman.
A 10 heures précise, je pénètre dans les grandes allées du Printemps Haussmann.
Après avoir gravi plusieurs Escalator, j’arrive sur le corner de Manoli.
J’y retrouve toutes les collections de vêtements, de chaussures, de sacs et d’accessoires que je connais si bien… Mais avec lesquelles je suis encore si peu familier.
C’est Eléonore qui m’accueille. Une vendeuse qui semble bien à son aise dans cet univers. Elle est souriante, avenante et très dynamique… comme toutes les femmes que je rencontre jusqu’ici chez Manoli.
J’ignore ce que Natalia a pu lui rapporter sur moi… Mais je sens néanmoins un léger regard de pitié.
Elle me conduit dans la réserve où se trouve Andréa, la responsable du corner.
Elle est plus mûre mais d’une très grande beauté… Un véritable clone de Natalia.
« Alors ! Il parait que nous devons vous aider à devenir un meilleur vendeur ! » Me lance t-elle tout en me serrant la main.
« Pas de panique ! j’ai foi en vous ! vous allons y arriver ! »
Sur ces mots, elle m’entraine sur la surface de vente. Avec l’aide d’Eléonore, elle reprend ma formation à la base.
Avec une pointe d’humour et une pédagogie douce, les deux femmes m’inculquent les bonnes techniques d’un vendeur hors-pair pour la marque Manoli.
On ne peut pas dire que cela se bouscule sur notre stand…
Quelques clientes passent de temps à autre.
Je mets à profit mes nouvelles techniques de vendeur carnassier mais les parisiennes, habituées du Grand Magasin, préfèrent l’aide d’Andréa.
Elle ne me laisse pourtant pas sur la touche et m’offre l’occasion de l’aider sur ses ventes et ses conseils.
De temps à autre, elle me lance des regards d’encouragement ou me félicite discrètement lorsque j’arrive à glisser une vente additionnelle.
Mais le reste du temps… C’est le calme plat… Et à part astiquer les chaussures et ranger les cintres, il n’y a pas grand chose à faire.
Mon esprit rêverait de s’égarer à Faery… Je m’efforce de le garder pleinement dirigé sur ce travail un peu fade.
A 18 heures, je quitte les grands magasins le coeur léger. Le courant est bien passé avec Andréa et Eléonore. J’ai gagné confiance en moi.
Le soir, c’est toujours la cohue dans les transports en communs et il faut s’armer de patience pour pouvoir monter dans un métro.
Assis, là, au pied d’un Escalators de la station Auber… je remarque un vieux monsieur et son chien.
Ils doivent venir ici assez régulièrement.
Certaines personnes l’apostrophe et le salue.
« Bonsoir Pépé ! Comment ça va ? »
Quand d’autres, plus égoïstes, plus froids, passent devant lui sans le regarder.
Son chien reste à ses pieds, calme et attentif à tout ce qui se passe dans la gare. Un de ces chiens sans race très définie mais qui ferait fondre n’importe quel amoureux de bêtes.
Pépé chante. Il chante fort et faux. Il chante des airs de Piaf, d’Aznavour, de Brel et de Barbara.
Je ne peux m’empêcher de m’arrêter.
Sa jovialité est un spectacle à elle seule. Sa générosité est juste et captivante.
Avant de regagner le couloir qui mène vers mon métro, j’arrache à mon carnet trois tickets restaurant que je pose dans son chapeau.
« Merci M’sieur l’Homme d’affaire ! » me lance t-il tandis que je m’enfuis au milieu de la foule.
Je démarre une nouvelle journée au Corner Manoli du Boulevard Haussmann.
Ce matin j’arrive au travail avec une assurance qui me surprend. Je suis heureux de retrouver Eléonore et Andréa sur le stand.
A peine ai-je le temps de poser mes affaires que je les découvre complètement stressé et beaucoup moins joviales que la veille :
Natalia doit venir nous rendre visite dans la journée.
Les deux expertes de la mode courent dans tous les sens…
Elles ne se posent pas une minute.
Elles replacent les robes, les chaussures, les sacs, elles font la poussière, rangent le stock, passent le chiffons sur la caisse…
Puis, Elles replacent les robes, les chaussures, les sacs (alors que personne ne les a touché entre temps), elles font la poussière (au mêmes endroits), rangent le stock (où rien n’a été bougé depuis leur précédent passage), passent le chiffon sur la caisse (qui scintille presque comme dans une publicité tant elle a été astiqué).
Je comprends assez vite qu’elles craignent Natalia autant que moi…
Elles ont peur de sa rigueur et des pics parfois acerbes qu’elle peut lancer.
Eléonore et Andréa veulent s’assurer que lorsque Natalia arrivera, elles seront à la tâche. C’est pour cela qu’elles répètent inlassablement cette même boucle inutile depuis des heures.
Je me demande ce que va dire Natalia aujourd’hui…
Nous ne nous sommes pas vus depuis cet entretien de « la dernière chance ».
Même si je crains ces retrouvailles, je suis rassuré de savoir qu’Eléonore et Andréa apprécient ma compagnie et qu'elles seront là pour m’épauler.
Je pense sincèrement qu’elles défendront mon cas auprès de Natalia.
Il est 14 h 15 lorsque Natalia passe les portes du grand Hall du Printemps Haussmann.
Nous la voyons grimper d’escalator en escalator pour rejoindre notre étages.
Je reste tétanisé tandis qu’Andréa et Eléonore répètent une ultime fois leurs tâches inutiles.
Natalia me serre la main… Elle est souriante mais j’ai appris à me méfier de cette douceur malsaine.
Elle tient dans ses bras trois gros catalogues qu’elles pose avec excitation dans les bras des filles.
« Je rentre de Milan ! Le défilé Automne-Hiver était sublime ! nous allons vraiment avoir de belles pièces de collection ! Je vous ai ramené les photos de l’événement… »
Andréa et Eléonore commencent à feuilleter ces nouveautés de Manoli tout en enchainant les « Sublimes », les « C’est magnifique » et les « J’adore » de circonstances.
Je décide de prendre part à cette euphorie. Je m’approche à mon tour pour regarder la future collection.
Natalia me jette un regard noir…
Ce regard me fait prendre conscience que nous sommes visiblement toujours au bord d’un précipice elle et moi.
« Vous pouvez vous éloigner et vous occuper du magasin au lieu de brasser de l’air ?! » me lance t-elle sous une forme faussement interrogative.
« Je viendrai vous voir juste après… Nous allons régler votre cas… »
Je repars, penaud.
Seul sur la surface de vente, j’observe Natalia qui rit à gorge déployer avec Andréa et Eléonore.
Je n’arrive pas bien à comprendre pourquoi je suis l’objet de tant de haine…
Et je commence à douter de la loyauté de mes collègues du Printemps Haussmann.
J’essaye de garder mon sourire de façade pour les clientes… Mais au bout du magasin, j’ai vraiment la sensation que l’on se moque de moi…
Et même si ce n’est pas le cas, on me manque éminemment de respect !
Natalia daigne enfin venir me voir. Elle arbore à nouveau un grand sourire doux et apaisant.
Je n’arrive pas à comprendre à quoi joue cette femme… Elle qui vient de méconduire violemment quelques minutes auparavant.
« Alors comment vous sentez vous au Printemps Haussmann ? » me demande t-elle
Je présage que cette question cache une énième humiliation ou un énième reproche…
Mais une part de moi à aussi envie de croire que j’ai ma place au sein de Manoli… De croire qu’Eléonore et Andréa m’apprécient vraiment.
«Natalia, je dois vous dire que je me sens bien ici. Les filles sont adorables et m’ont très bien accueilli. Je pense avoir fait des progrès. Tout se passe bien »
« Et bien ce n’est pas ce que les filles m’ont rapporté… »
Le sourire de Natalia s’évapore…
Devant toutes les clients du magasin, elle prend plaisir à m’humilier et me rabaisser.
Je n’entends plus les mots qui viennent percuter mon honneur…
Je ne comprends leur violence qu’en croisant les regards abasourdis et presque désolés des parisiennes qui se baladent dans les rayons.
J’entrevois au loin Eléonore et Andréa, cachées derrière l’étagère à chaussures et qui assistent à un spectacle visiblement pathétique.
« J’en ai assez de perdre mon temps avec vous ! Maintenant vous allez ramasser vos affaires et je mets fin à votre période d’essai… Vous pouvez rentrer chez vous »
Natalia m’arrache des mains une robe que je gardais contre ma poitrine comme un bouclier.
Tous les regards sont sur moi… J’ai même l’impression que la musique d’ambiance du magasin s’est arrêtée.
Je quitte le printemps Haussmann avec la honte collée à mes baskets.
J’ai envie de pleurer… Dans l’escalator je me répète doucement :
« ne pleure pas, ne pleure pas »…
En rejoignant les couloirs de la station Auber, je retombe sur Pépé et son chien.
Celui-ci m’apostrophe…
« Comment va l’Homme d’affaire aujourd’hui ? »
Je passe sans le regarder…
Je monte dans le premier métro…
Je continue de me répéter :
« ne pleure pas, ne pleure ».
Je me sens médiocre.
Comment ai-je pu être aussi bête ? Bête de croire que le monde de la mode était fait pour moi !
Le voyage est long… J’ai l’impression que l’on arrive jamais à ma station !
j’ai envie de pleurer… J’ai besoin de pleurer… Mais je continue à me répéter cette phrase…
Je craquerai à la maison…
Une fois mes larmes évacuées, je me décide à rendre mon blog public…
Après tout cette fois, il ne me reste que l’écriture et après l’humiliation que je viens de vivre, le regards des gens m’importe peu.
Les premiers lecteurs découvrent les quelques chroniques du blog.
Chronique n°6
Revenons un instant sur un passé plus ou moins proche…
Il nous arrive parfois (souvent) de perdre notre route. D’être surpris par l’orage… De courir à travers champs, à travers villes, pour se réfugier sous un préau où les maux du ciel ne nous atteindrons pas. Il nous arrive parfois (souvent) d’attendre immobile, en regardant ces perles humides balayer, nettoyer nos erreurs.
Que faire lorsque nous avons perdu notre route ? Est-il sage d’attendre qu’un voyageur, plus chanceux, nous remontre le chemin ? Ou devons nous porter notre sac à dos et continuer, seuls, en suivant les étoiles de la chance ?
Il n’y a rien de plus déstabilisant que de se perdre soi même… Cet été 2010, je me suis perdu, j’ai couru à travers champs, à travers villes, pour un semblant de vie qui ne me ressemblait pas. Je me suis réfugié sous un préau où les maux du ciel ne m’atteignaient pas. J’ai attendu qu’un voyageur chanceux me remontre le chemin… Ne voyant personne à l’horizon, j’ai porté mon sac à dos, en suivant la route des étoiles.
Abandonné dans les grands espaces Parisiens, bousculé par les troupeaux de bisons en migrations vers le centre d’affaire le plus proche… Le petit Jimmy que j’étais, un peu perdu, un peu fragile, marchait… Cherchant ses rêves délaissés dans les mains d’une Calamity Jane de luxe, terreur de la mode… Vendeuse plus rentable que son ombre.
Dans le train à vapeur qui me ramenait chaque soir auprès des miens, j’écoutais les rythmes langoureux et apaisants des Moriarty : les accords amers d’un harmonica esseulé, le rythme de la vie sur une guitare abîmée sans oublier la douce voix de Rosemary. Elle me murmurait à l’oreille "Sois fier de ton nom" "Sois fidèle à toi-même" "Va où tes pas te mènent" "Fais comme tu le sens".
J’avais perdu le chemin de la maison. J’étais bien loin de mon petit univers onirique. L’écriture portait ma vie avec difficulté… Un peu comme une camionnette vacillante sur une route imparfaite. Rosemary a expliqué la signification particulière de cette chanson pleine d’énigmes :
" Jimmy a tout simplement disparu. Cette chanson est un appel au retour de Jimmy et c'est une métaphore chez les bisons. La philosophie des bisons : Où que tu sois , n'oublie pas d'où tu viens et qui tu es"
Le Jimmy qui vivait en moi s’était envolé. Il avait perdu sa route. Terrorisé par l’orage, il avait trouvé refuge sous un préau, attendant que je vienne le chercher pour reprendre le chemin à ses côtés. Lorsque je donne un pouvoir philosophique et bénéfique à la musique, ce n’est pas par hasard. Grace à ce groupe et cette mélodie, je n’ai pas oublié qui je suis et d’où je viens.
Jimmy est notre meilleure part d’âme… C’est le coeur, c’est le vrai… C’est le chemin. Plus jamais je ne l’abandonnerai. Jimmy des Moriarty c'est la métaphore d’un été de perdition chez Manoli.
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