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Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Les temps durs (Chronique #9)

Dernière mise à jour : 19 mars 2020



1er Octobre 2010,

Etre auteur... Donner tout son être à son art, c'est se mettre en danger... C'est accepter de vivre sur le fil de la précarité. Il est souvent difficile d'expliquer ce besoin... De faire comprendre au monde que l'art que l'on porte a une vraie valeur. J'aimerai pourtant être comme tout le monde, être noyé dans la masse et me contenter d'une vie simple loin de mes histoires. Dans cette chronique je fais un parallèle entre les fins de mois difficile de nombreux parisiens, la misère visible au quotidien dans les couloirs du métro et le risque de croire en son art...

Je ne pensais pas que l’automne reviendrait aussi vite sur la capitale… Que les feuilles se terniraient et que le soleil se mettrait en intérim. Je ne pensais pas que cette rentrée serait aussi difficile.


Je sais que ma famille ne comprendra jamais ce besoin d’être entre deux vies… Souvent sur la brèche… J’en assume les conséquences. J’ai fait ce choix, celui de vivre avant tout pour mes projets… Je me suis promis de ne jamais laisser l’écriture au bord d’un chemin comme je l’ai souvent fait par lâcheté.


Les temps sont durs… A bientôt 24 ans, je vis toujours dans un minuscule studio hors de prix. Je prie sainte Marie du capitalisme chaque soir pour que mon loyer n’augmente pas ! Même si l’art est ma force et l’écriture ma vie, je dois reconnaître que les fins de mois sont souvent difficiles et aléatoires.


Dans ma course matinale au milieu des parisiens stressés, Il m’arrive souvent de croiser Pépé à la gare d’Auber. Il est là, chaque jour, avec son vieille orgue qui a certainement vu plus d’hiver que tous les couloirs du métro. Diego, son chien, assis sagement à ses côtés… Il l’écoute jouer et rejouer, pour un ticket resto, devant les grands magasins où se pressent les touristes et les parisiennes emmitouflées dans leurs fourrures.


L’été passé, lorsque je travaillais chez Marni au Printemps Haussmann, je croisais souvent Pépé et Diego. Je leur laissais, furtivement, un ticket resto. Je me doute que ce n’est certainement pas grand-chose. Mais je savais qu’ainsi, mes deux amis rejoueraient à mon retour, le lendemain, sur les grands boulevards.


A ses yeux, j’étais un parmi tant d’autres. Il devait certainement me prendre pour un garçon de bonne famille avec mes cheveux impeccablement coiffés et mes vêtements Marni de la tête aux pieds. Il me remerciait poliment tout en continuant sa balade. Il rejouait de vieux airs de la chanson française, tout aussi clichés que populaires. En quittant Marni et les grands magasins, j’ai perdu Pépé et Diego de vue…


Alors que je risquais de me retrouver sans emploi, je m’interrogeais sur la fragilité du monde. Sur l’incertitude qui habille nos aspirations et nos projets.

Qu’est ce qui a causé la chute de Pépé ? Quel instant de sa vie a été fatal à son toit et sa sécurité ? L’art me mène t-il inévitablement sur le chemin d’un orgue de Barbarie chantant ma précarité ?


J’aurais aimé réussir à l’école pour ma famille. Faire de longues études, devenir médecin ou avocat, dentiste ou banquier… Je les déçois chaque jour, je pense…

J’avance à l’instincts. Je m’engage sur des passerelles fragiles, vacillant au dessus d’une vie quasi-ratée.


Par chance je me relève toujours… Du moins jusqu’à aujourd’hui.

Depuis peu, j’ai retrouvé un travail… J’ai aussi retrouvé Pépé sur les grands boulevards. Désormais, je ne suis plus un parmi tant d’autres… Peut-être a t-il compris que ma vie est aussi aléatoire que la sienne… Que je survis dans ce monde sans vraiment y être intégré…Que nous sommes des frères d’orgues esseulés qui s’entre-aide à coup de tickets-resto…


La vie dans cette grande ville est si injuste… Lorsque l’on oublie un instant les grands monuments, les magasins et les costumes-cravates, on se rend compte que nous sommes tous en train de jouer de l’orgue avec Pépé et Diego… Pendant que l’élite se moque de la misère montante…

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