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Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Le coeur dans la main (Chronique #10)

Dernière mise à jour : 19 mars 2020


22 Octobre 2010,

Tout artiste se doit, à un moment, de rendre hommage à son instrument de travail. Comment puis-je remercier mes mains ? Elles qui me font vivre tant d'aventures... Elles qui écrivent l'amour, l'émotion, la sincérité et le dépaysement... Sans la sève précieuse qu'elles m'offrent chaque jour... Je serais bien peu de chose dans le monde des Hommes... Je serais un Aveugle dans un monde des mots...

Vous avez certainement entendu parler de la bosse de l’écrivain ?

Elle naît de l’appui incessant d’un stylo sur votre majeur… C’est bien connu, les accros des mots, des ratures et des chiffonnages de papiers, sont de véritables tyrans avec leurs mains.


J’ai malmené les miennes très jeune, bien avant de savoir écrire. Au jardin d’enfants, je voyais mes camarades si talentueux, créant les futurs oeuvres d’art de demain : Ficelant des colliers de nouilles, modelant des pots en terre cuite.

Moi ?... J’étais nul, peu créatif et pas du tout artiste... En somme, une catastrophe. Mes mains ne servaient à rien ! La fée des pinceaux ne s’était pas penchée sur mon berceau. Mais ce jour là, j’ai trouvé une utilité bien plus grande à mes celles-ci… : J'ai commencé à les dévorer.


Je me suis mis à me ronger les ongles sans fin, en me demandant si ces mains allaient un jour me servir. Puis, j’ai appris à écrire. Dès ce jour là, cette lubie ne m’a plus vraiment quitté. Mon envie de créer me frustrait tellement que je m’en dévorais toujours autant les doigts… Je pensais perdre un jour cette mauvaise habitude. Mais la vie a entretenu ce petit rituel… Je me rongeais les ongles en cours de maths au lycée, en cours de découpage filmique à l’université, avant un entretien d’embauche et même avant une facture à payer…


Après des années d'écriture et de gribouillages, j’ai fini par la remarquer… Ma deuxième petite mutilation : ma bosse de l’écrivain. Celle que tous les écrivains, amoureux des feuilles et des crayons, possèdent. La mienne ne se trouve pas sur le majeur, mais sur mon annulaire. J’ai toujours eu une façon étrange de tenir mes stylos depuis l’école.


Aujourd'hui, nos sociétés modernes ont apporté à l’écrivain des moyens bien plus novateur pour écrire. Mais bon nombre d’entre eux aiment encore les ratures et les tâches d’encres sur le papier. J’en fais partie… Mais peut être pas pour toujours.


Oui, la bosse de l’écrivain est en voie d’extinction. Elle sera certainement remplacée par une bonne cataracte ou une arthrose précoce, sponsorisées par un grand nom de l’informatique.


Tout cela, nous amène à un autre sujet… Ou plutôt, une réponse à une question qui m’a été posée récemment. Je suis persuadé que vous avez déjà eu à y répondre de nombreuses fois : Que regardez-vous en premier chez quelqu’un ?


C’est un rituel un peu absurde pour beaucoup de gens… Mais, depuis toujours, mon regard se pose sur les mains.

Ironique n’est ce pas ? Surtout quand on sait dans quel état sont les miennes.


Ce que j’aime chez elles, c’est ce jeu de miroir qu’elles nous offrent sur une personne avant même de la connaître. Elles peuvent révéler tellement de choses dans leur manière d’agrémenter une conversation ou leur façon d’afficher au grand jour (parfois timidement) des marques d’anxiété et de stress.


J’aime cette idée que le langage et le partage naissent dans les mains, dans celles qui se passionnent pour les mots ou celles qui savent s’offrir à l’inconnu… à un ami. L’amour n’est sincère que lorsqu’il est couché sur une caresse. L’art n’est beau que dans l’habileté des doigts caressant les cordes d’une guitare, les touches d’un piano, tenant avec agilité des pinceaux aux couleurs infinies ou un stylo au phrasé envoutant…


Je regarde toujours les mains car je pense que notre coeur est dans leur creux. Nous devons leur donner l’occasion de partager cet amour…

Aujourd’hui, je peux le dire, j’ai traversé bien des tempêtes avec ces demoiselles… Et même si les gens les ont blessées, je sais désormais pourquoi je les aime tant…

Leurs ongles abîmés, leur bosse grossière… Je m’en moque… Parce qu’elles ont enfin crée… Ma vie.

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