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Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

L'art de fuir (Chronique #170)


22 janvier 2019,

J'ai appris à vivre seul avec mes mots et mes chroniques... Alors forcément lorsque quelqu'un tente de s'installer dans ma vie, mon instinct premier : c'est fuir. Avec les années, c'est devenu un art... J'en ai appris les techniques et les rouages. Je ne veux pas me laisser piéger. Je préfère m'éloigner avant de blesser. Depuis que j'ai quitté les vallées, le sentier qui mène à Zugarramurdi et ses légendes, je perçois des choses, des signes, des sentiments, une présence... Est-ce toi qui vient encore dormir le soir à mes côtés ou uniquement les élucubrations d'un auteur trop drogué par ses histoires ?... Et si j'étais toujours amoureux d'un fantôme ?...

J’ai souvent égaré mon talent… Je l’ai étouffé, renié, noyé pour des carrières inutiles ou des bras avares. Mes mots sont fragiles et mes maux, bien trop lourd pour accueillir quiconque piétinerait mon jardin secret. Pour préserver mon art, l’émanciper, le libérer, j’ai aussi appris l’art de fuir.


Cela fait des années que je pratique cet art et que je l’entretiens. Durant l’adolescence, j’ai fuis pour ne pas me perdre. J’ai fuis les insultes des élèves et des professeurs, j’ai fuis les préjugés et les crachats. J’ai tué le temps en parcourant des livres et en me barricadant dans les bibliothèques. J’ai commencé à écrire des histoires qui me pourchassaient depuis bien longtemps.


L’art de fuir est devenu un art de vivre, une protection, une muraille… Beaucoup diront que je suis froid, distant, observateur… Je suis comme mon animal totem : le loup. Il faut bien des hivers pour m’approcher et bien des printemps pour m’apprivoiser. Que voulez vous… Je suis une bête blessée. Je protège mon territoire et ma liberté.


J’ai souvent égaré mon talent… Autrefois, j’étais aussi léger qu’une plume. Je virevoltais aux quatre vents. La sécheresse de ma vie appauvrissait mon jardin et rendait mes mots infertiles. Alors pour préserver mon art, le soigner et l’embellir, j’ai aussi appris l’art de fuir.


Cela fait des années que je pratique cet art… Pourtant j’ai baissé la garde pour des amours biaisés qui n’ont fait que me blesser. Des amours aux milles baisers qui n’ont eu de cesses que de caresser les amants d’à côté et de me laisser lésé. Il n’en fallait pas moins pour me rendre encore plus sauvage… Moi, l’animal tout juste domestiqué.


Beaucoup diront que je suis monotone, pessimiste, craintif… Je ne crois plus en l’amour. Et pourtant j’adore écrire sur lui. J’aime les paysages somptueux qu’il peut habiller, les tempêtes qu’il peut déclencher. J’aime l’amour apocalyptique, l’amour qui hurle, l’amour qui chiale… L’amour qui n’a pas honte de se blottir dans des bras moins charismatique… Des bras au creux desquels, étrangement, il se sent plus fort. Que voulez vous… J’aime les mots plus que l’amour. Je préfère entretenir ma solitude pour une pincée d’histoires.

J’ai souvent égaré mon talent… Les deuils, les cicatrices ont muselé mes mots et mon imaginaire. J’ai du me battre pour reconstruire mon jardin. Après les silences, j’ai fais de ce lopin de terre, un royaume. J’ai fais ma valise pour l’explorer, le préserver et l’élever, j’ai aussi appris l’art de fuir.


Beaucoup diront que j’étais un amoureux, un complice, une épaule solide. J’étais Monsieur projet, l’heureux propriétaire de la maison du bonheur et des matins calmes. Je pensais avoir trouvé les bras dans lesquels je serais toujours le plus fort… Mais cette fois, ce n’est ni l’amant, ni mon art de fuir qui se sont avisés de tout détruire… C’est un mal indescriptible, un putain de cancer qui vous agresse la nuit et vous agrippe quand vous le pensez parti. Jamais je ne retrouverez des bras aussi fort… Que voulez-vous… aujourd’hui, je veux juste avoir le droit de fuir.


Je m’excuse toi qui t’accroches, toi qui tentes d’entrer dans ma vie, toi que je fuis… Tu te bats pour prendre une place, te faire un nid. Je ne veux pas te froisser. Je suis un loup, une bête sauvage, un animal blessé… J’ai appris à vire avec mes ecchymoses, avec mes fantômes… Ne pense pas que ma vie soit malheureuse, j’y sème bien des bonheurs. Ne penses pas que je vis sans amour, j’ai appris à le cueillir dans des rizières où peu de monde s’aventure.


La personne à qui mon coeur appartient n’est plus là… Cela fait longtemps qu’elle n’est pas revenu sous les draps… Et pourtant, lorsque j’écris, lorsque je fuis… J’ai l’impression qu’il me suit. Même à l’autre bout du monde, dans une forêt, au sommet d’une montagne, après une chronique ou à la fin d’un chapitre, j’ai la chance de pouvoir m’endormir dans ses bras… Parce que j’ai appris l’art de fuir et de me mentir.

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