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Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Je suis un GROS con ! (Chronique #173)

Dernière mise à jour : 17 févr. 2019


9 février 2019,

J'ai hâte de quitter la ville, de retrouver le calme des forêts et des grandes terres. Quand je suis rentré du Québec, j'avais des rêves plein la tête... J'étais persuadé que mon pays allait me donner ma chance. Que j'allais pouvoir faire naître une nouvelle vision et de nouveaux chemins... Cela me fait mal de voir mes vallées s'appauvrir. De voir que nous ne bougeons pas. Je dois admettre que je baisse un peu les armes... Ici en France, je ne serais jamais rien d'autre qu'un petit vendeur de magasin qui doit faire du chiffre... Quelqu'un que personne ne lit, personne n'écoute, personne ne considère parce que parler de Nature et d'environnement ce n'est pas très rentable... Je ne me fais pas l'avocat du monde... Je ne me crois pas meilleur ou plus malin. Je suis un GROS con... Et je vais vous le prouver !   

Et oui, il était temps que je le dise… Que je l’avoue et que je cesse enfin de me cacher derrière ma bonne éducation. Je suis un GROS con. Un con comme on fait peu en vérité. Ce genre de con qui se croit tout permis et qui agace son monde.


Beaucoup de personnes pensent qu’on devient con avec le temps… Peut-être… à vrai dire j’en sais trop rien. La seule chose que je sais, c’est que j’ai été très con dès mon plus jeune âge.


A l’école, je n’aimais pas trop jouer à la guerre… Sauf lorsque mes adversaires étaient bien plus fragiles que moi. Qu’est ce qu’on riait en foutant le feu dans les terriers de fourmis. C’était drôle de les voir se débattre et crever dans le sable. Parfois on changeait de victimes, les escargots, les vers de terre ou les gendarmes.


A Noël, j’étais toujours extrêmement gâté. Le Père Noël ramenait souvent ce que j’avais commandé : les figurines plastiques de mes héros préférés, bien harnachés avec des attaches en plastiques, dans une boite en plastique, elle même entourée par film en plastique. C’était le bon temps… C’était mon enfance.


Puis en grandissant, petit à petit, on m’a appris les vrais codes de la vie… On m’a éduqué. On m’a appris que la guerre c’était mal… Sauf si il y a des richesses à la clé. On m’a appris que les jouets en plastique étaient pour « les bébés » mais que les sacs en plastique étaient indispensables.


J’ai bien appris ma leçon et j’ai suivi le calendrier du consommateur : C’est trop cool de manger des fraises en décembre et de la viande hachée à volonté. J’ai appris que consommer, c’est crier au monde « Je suis vivant ! ». Je n’ai jamais raté les soldes en janvier, les cadeaux de la Saint Valentin en février, les cloches en chocolat pour Pâques, les barquettes de quinze brochettes de boeuf pour les barbeuc’ d’été, la crème solaire avant d’aller à la plage et les tartines de Nutella au bord de la piscine.


A 16 ans, j’ai fumé mes premières clopes parce que ça me donnait un air plus rebelle. Je les jetais un peu partout avec panache, parce que ça faisait bonhomme… mais je n’en étais pas moins con. J’ai bu des bières avec mes potes, sur des collines ou au bord de l’eau. J’ai laissé des canettes, des bouteilles vides et des couverts en plastique dans les forêts en criant : « J’m’en branle » à moitié bourré. La belle époque !


A 19 ans j’ai eu ma première bagnole. C’était une petite copine en or… J’ai enfin arrêté de marcher inutilement ou d’attendre le bus comme un abruti. Grâce à elle, je pouvais vivre TOUS mes caprices instantanément : Elle m’amenait au centre commerciale, elle passait chez mes potes à pas d’heure, Elle me conduisait au McDrive pour bouffer trois Big Mac et un Sunday. Elle ne me jugeait pas quand je balançais les emballages par fenêtre. Elle me criait « Roule ! on n’a pas d’temps à perdre ! ». Son plus gros défaut, c’est qu’elle buvait plus que moi et qu’à la longue ça coutait cher à mon porte-feuille de GROS con.


A 25 ans, « Y a pas d’temps à perdre » était devenu mon mojo. Je bossais dans des boutiques de luxes où j’ai rencontré d’autres GROS cons passionnant. Ils m’ont appris comment faire du chiffres d’affaires et entuber des clients… On m’a donné des responsabilités, on m’a donné des objectifs de vente à atteindre… J’ai vu défiler des billets, des billets et des billets… Certains que je n'avais jamais vu. On me disait qu’il fallait vendre encore plus, encaisser encore plus, servir encore plus de clients… On a augmenté mes journées de travail pour pas payer mes heures supp’… On m’a dit d’accélérer encore, encore, encore… atteindre le chiffre, atteindre les objectifs, augmenter les ventes, augmenter la consommation…


Après le boulot, je consommais à mon tour, portable à la main et carte bleue à la poche, je cherchais les bonnes affaires… J’achetais sans retenue, sans besoins et sans cerveau. Parce que c’est comme ça qu’on m’avait appris à vivre…je suis devenu un robot… Et puis cette vie de GROS con m’a tué.


Et oui, il était temps que je le dise… Que je l’avoue et que je cesse de me cacher derrière ma bonne éducation. Je suis un GROS con. Un con comme on fait peu en vérité. Je ne représente que 0,01 % du vivant sur cette planète. Et pire encore, je fais partie d’une infime caste qui a eu accès aux conneries que je viens d’énoncer… Pendant que les autres produisaient et subissaient mes caprices. Et pourtant, ma connerie, elle, pèse beaucoup…


J’ai accéléré la fonte des glaces, j’ai acidifié les océans, j’ai pollué les sols, l’air, l’eau… J’ai creusé, j’ai déforesté… J’ai accumulé des déchets que personne ne sait traiter. J’ai consommé inutilement, j’ai acheté une, deux, trois voitures, j’ai mangé des tomates américaines et asperges chinoises sans bouger de chez moi, j’ai fait disparaître les insectes et les oiseaux… J’ai surpêché, j’ai surproduit, j’ai surchassé et j’ai jeté… Ah qu’est-ce que j’ai jeté !… Sans trier et n’importe où.


Je me suis autoproclamé Roi, Président, Homme, meilleur que les autres, intelligent, sensible, clairvoyant, aimant… J’ai condamné dans ma folie des millions d’espèces, des vivants à qui je ne prêtais pas mes qualités…Oui ! C’était génial d’être un GROS con…


Grâce à moi, nous vivons désormais sur une planète où le monde (tel que nous le connaissons) va cesser d’être… Dans 200 ans à peine… Autrement dit, demain. La terre va nous balayer une bonne fois pour toute… Avec des tempêtes, des typhons, des tornades, des incendies, des sécheresses, des inondations, des températures intenables et des sols infertiles. Elle ne s’encombrera de personnes… Et dans ma décadence j’emporterai tout le monde avec moi.


Je suis le seul à pouvoir réparer mes erreurs. C'est moi le mauvais élève. Il serait grand temps que je bouge, que je me réinvente, que j’innove… Le pire c’est que j’ai déjà les solutions… Mais que voulez-vous je suis bien trop con… Tout cela me rapporteraient bien peu.. Alors je préfère continuer à consommer à outrance, à parler de croissance et de bénéfices. Je remets tout à demain, pire encore, je refuse qu’on m’interpelle sur ma folie quand tout ce qui m’entoure ne fait que me la reparler.


Oui je suis un être abjecte. La seule chose qui me distingue des autres espèces : c’est que je suis égoïste.

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