15 Juin 2012,
Cela fait maintenant plusieurs semaines que nous avons emménagé dans notre chez nous avec mon artiste. Et assez vite, j'ai vu apparaitre ce que je redoutais : le combat de nos passions et de nos égaux d'artiste. J'espérais, surement naïvement, qu'un jour il s'intéresserait à mes écritures... Sans s'en rendre compte, il les étouffe, les amenuise... Je suis presque sur la ligne d'arrivée pour achever mon premier livre... J'écris les dernières pages sans conviction... Sans saveur.... Avant que fane ma passion...
Ce soir, tandis qu’il dort depuis bien longtemps, j’écris, je peaufine, j’achève mes Contes et Légendes. J’aurai aimé qu’il se passionne pour mon univers. J’aurai souhaité échanger avec lui, confronter les avis, les points de vues qui pourraient faire grandir mon écriture. Je m’intéresse pourtant à son univers de marionnettes et de spectacles. Je le porte, je l’encourage, je me réjouis lorsque c’est nécessaire… J’attendais peut être trop… Et si nous avions des passions inégales.
Il est vrai que son art est plus palpable, plus encré. Son théâtre existe, il a une audience, un rendez-vous quotidien avec sa passion.
De mon coté, le chemin est laborieux, boueux… Je suis toujours ce vendeur par défaut qui se dégage peu de temps pour l’écriture. Je passe mes journées dans le monde des chiffres d’affaires, des objectifs mensuels et des ventes additionnelles... Bien loin d'Ivan, Mirage, Ben et Grimm.
Même ma vie à deux ne m’offre désormais que peu de temps pour retrouver mes personnages. J’ai besoin d’une solitude pour pouvoir créer. Je commence à pourrir de l'intérieur. Les idées fanent dans mon crâne. A côté de moi, mon artiste amoureux n’a pas de soucis à concilier son art et sa vie de couple. Il dessine, il prépare des costumes, peint ses marionnettes, monte les bandes sonores de ses spectacles.
Pourquoi ne suis-je pas productif. J’aimerai être de ceux qui écrivent des livres en trois semaines. Ceux qui tiennent les objectifs qu’ils se sont fixés. J’ai l’horrible sensation que ma lueur s’éteint… Que l’envie de créer s’envole, me quitte. Ce soir, j’écris dans la précipitation avant de prendre tout désir créatif.
Je suis loin du Roman que j’espérais à l’époque du lycée. Cela fait deux ans que je travaille sur de simples contes. Cette oeuvre aurait dû être prolifique et intéressante... Mais l’amour m'est tombé dessus. J’ai la sensation que je n’écrirai plus après cela... Que je n'aurai plus rien à dire.
J’aurais aimé me sentir porté par celui que j’aime. Il est pourtant artiste comme moi. Il connait nos éternels combats, les difficultés de cette vie peu reconnue. Au lieu de ça, il détourne son regard de mes écrits. Il raille mes pages blanches et mon incapacité à écrire. Je goûte cet éden par procuration en le regardant vivre dans son art… Il le touche, le maitrise. On le félicite, on l'applaudit , on l'encourage... Je me rends bien compte que nos passions sont inégales.
Est-ce ça la vie lorsqu’on est artiste ? La passion de l’un doit-elle forcément dévorer celle de l’autre ?... J’ai visiblement perdu la partie. Mon art est à terre… Il saigne et les charognards en dévorent les derniers frémissements. Ce soir, j’écris dans l’urgence… Comme si je posais mon dernier souffle. Si ma vie d’artiste s’arrête ici, je veux au moins un livre. Je n'en tirerai aucune victoire... Mais je m’en accommoderai.
Sous ces aigreurs nocturnes qui tapissent notre salon, je me sens observer… Elles sont toutes là, les marionnettes moqueuses et prétentieuses. Elles me scrutent derrière des toiles d’aquarelles et des pelotes de laines. Cet appartement respire l’Art et la création… L’Art et la création d’un autre.
Mon imaginaire n’a pas fait son nid par ici. Il ne sait approprié aucune étagère, aucun chevet... Il agonise dans un dernier carton coincé entre deux plinthes. Entre la chambre et le couloir... là où personne n'entends sa complainte.
Malgré ce triste constat, je ne suis pas malheureux, ni même triste. Je suis amoureux de ce garçon aux multiples talents. Je suis amoureux de celui qui chaque nuit se blottit dans mes bras... Amoureux de ces nuits où mes mains se perdent dans ses cheveux. Est-il ma nouvelle passion ? Cela fait des heures que je butte sur les mots, que je n’écris rien de palpitant. Je ferme mon carnet... Je rejoins l'amour qui dort dans notre lit.
Ce soir, c’est moi qui me perds dans ses bras… Seul instant où j’ai la sensation qu’il porte mes aspirations d’artiste. Je sais qu’elles vont bientôt mourir… Mais je dois absolument achever Les Contes et Légendes de Faery. Je dois accepter le triste sort de nos passions inégales.
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