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Bien des années me séparent désormais de cette époque d'insouciance où je vivais à Flanagan. Pourtant, je peux encore entendre le chant de ce coq qui nous réveiller. Je me souviens très bien des premières percées du soleil qui offrait à l'horizon cette couleur ocre si caractéristique de notre région sauvage. Ce vent doux et chaud qui venait caresser les rideaux de ma fenêtre que je laissais toujours entrouverte la nuit. Mais mon souvenir le plus tenace, c'est l'odeur de l'herbe humide dans la prairie qui venait embaumer mes matins à Flanagan.
Celui du 1er Juillet 1876 réunit toutes ses sensations diffusent de ma petite enfance. Mais pour la première fois, je ne leur accordais pas autant d'importance. Il y avait un autre événement bien plus exaltant qui s'était glissé dans ma routine à Flanagan : Apporter le petit déjeuner à Chankoowashtay qui se rétablissait lentement dans notre grange.
En arrivant dans la cuisine, je retrouvai ma mère qui avait déjà préparé tout ce qu’il fallait pour redonner des forces au guerrier que nous abritions en secret : Des tartines de pain, de la confiture fraîche et des oeufs brouillés. Nous partîmes en direction de la grange sans plus tarder.
Chankoowashtay était toujours assis sur la paille non loin de nos vaches. Il venait d'achever sa dernière sculpture en bois. Un ours se tenant droit sur ses pattes arrière et montrant fermement ses crocs… Il avait de l'or dans les doigts. Il savait retranscrire à la perfection l'expression des animaux qui peuplaient les rocheuses... Des sentiments qui devaient sûrement rejoindre les siens : la colère, la peur, la rage...
Lorsqu’il nous vit arriver, Chankoowashtay demanda très vite à ma mère de l’aider à marcher de nouveau. Il souhaitait retrouver rapidement toute sa mobilité pour rejoindre sa famille et sa tribu. Ma mère accepta mais demanda au guerrier Sioux de ne pas faire d’efforts inutiles qui auraient pu réouvrir sa blessure à l’abdomen.
Elle plaça le bras droit de Chankoowashtay derrière sa nuque pour lui donner un appui, tandis que moi, bien trop petit, je me contentai de lui tenir l’autre main et de jouer le rôle d’une béquille sur laquelle on ne peut vraiment se fier. Nous fîmes ensemble, deux ou trois tours de la grange, mais très vite, notre fugitif commença à fatiguer et à se rendre compte qu’il lui manquait encore bien des forces pour reprendre la route.
- « Je ne supporte pas d’être impuissant et coincé ici pendant que mon peuple se bat quelque part pour sa survie ! » hurla Chankoowashtay tout en jetant l'ours qu’il venait d’achever.
- « Il est encore bien trop tôt… La cicatrisation peut prendre des semaines »
Ma mère tentait de le calmer et de lui faire comprendre que ses blessures étaient sérieuses mais déjà en bonne voie de guérison.
- « De toute façon lorsque je serais guéri, le sergent qui rode autour de votre ferme fera tout pour m’arrêter… Il sait que j’ai tué le général Long Cheveux…. Il voudra sa vengeance ! j’ai la sensation d’être pris au piège, juste bon à attendre de savoir si je mourrai de mes blessures dans cette grange ou d’une balle dans la tête dans la plaine qui borde votre ferme…» avoua le guerrier Sioux avec peu d’espoir.
Ma mère qui avait déjà eu la version de cette bataille par le Sergent Thomas, demanda à Chankoowashtay de lui raconter l’affrontement. Elle semblait curieuse d'avoir son point de vue. Je m'attendais à ce qu'elle me demande de me boucher les oreilles ou même de quitter la grange. Pourtant étrangement cette fois-ci elle ne m’empêcha pas d’écouter et je pu comprendre tout le récit.
- « Quelques jours avant la bataille de Little Big Horn, nous avions déjà affronter le général Crook à Rosebud Creek. Nous ne savions pas encore si notre coalition entre Lakotas et Cheyennes allait tenir la route. Nos chefs respectifs, Crazy Horse, Gall et Lame White Man parlaient d’une seule voix et s’est ce qui a fait que nous avons remporté la victoire. Après cet affrontement nous savions que la guerre ne faisait que commencer. Il fut décidé que les femmes, les enfants et les vieillards de nos clans devaient partir de leurs côtés dans nos territoires des Black Hills…
Cela fait longtemps que je suis un guerrier… Que je me bats pour ma tribu et pour ses valeurs… Je suis habitué à partir plus ou moins longtemps mais pour la première fois, j'ai fais mes adieux à ma femme et mon fils. Cette fois je n'étais pas sûr de rentrer... Cette fois j’ignorais ce qui allait nous arriver et j’ignorais surtout qui était le plus en danger… Eux ou moi ? »
Chankoowashtay avait une aisance assez admirable pour raconter une histoire. On pouvait facilement percevoir que cela faisait partie de sa culture et de son héritage de savoir transmettre avec force et émotion des récits qu’ils soient véridiques ou oniriques… Historiques ou personnels.
- « La veille de la bataille, nous avons exécuté nos danses et nos chants de guerres respectifs. Sur les plaines de Little Big Horn, se fut le plus beau spectacle qu’il m’est été donné de voir. Nous étions tous là, Les Oglalas, les Cheyennes, les Minniconjous, les Brûlés, les Hunkpapas, les Santees… nos chants de guerres se mélangeaient et semblaient peu à peu se rejoindre dans une seule et même voix.
La bataille commença le lendemain, dans le milieu de l’après midi. Une première cohorte de soldats s’est jeté sur nos campements. Mais Crazy Horse grâce à des éclaireurs savait que Custer restait en arrière de la rivière et prévoyait de lancer ses troupes un peu plus tard.
Nous avons donc décidé de déjouer leur plan et d’aller à leur rencontre pour protéger nos campements. Pour vous dire la vérité cette bataille me parut interminable et pourtant je n’en ai aucun souvenir concret et palpable. J’ignore combien de flèches j’ai tiré, combien de cou j’ai égorgé… Durant ces longues heures, je ne pensais qu’à ma famille, à notre liberté volée et à cette terre que je savais déjà perdu… »
Je ne m’étais jamais rendu à Little Big Horn et ne connaissais pas les territoires du Montana mais grâce à la précision des descriptions de Chankoowashtay, je pouvais m’imaginer cet affrontement sur les grandes plaines et la violences à laquelle il dû faire face cette journée là.
- « En fin d’après midi tandis que le soleil allait se coucher, il est apparu devant moi… Le général Long Cheveux. Il suait à grosse goute. Son uniforme était recouvert de sang. Très certainement celui de mes frères Sioux. Il regardait dans le vides... ses pupilles étaient dilatées et tremblantes. La violence qui nous entourait l'avait emporté dans sa folie. Il hurlait, encore et encore, tel une bête... Il n'était plus un Homme... simplement la violence incarnée.
Elle possédait tout son corps et son esprit. Pour être honnête, je pense que le même mal s'était emparé de moi. Nos rages étaient puissantes. Rien ne pouvaient les apaiser... Elles se gargarisaient de ce chaos. Je savais que l'un de nous devait mourir là, sur l'herbe, au bord de la rivière pour mettre cette barbarie. Ni lui, ni moi ne voulions être l'âme qui se sacrifierait.
Long Cheveux voyait que la bataille ne tournait pas à son avantage... ses hommes étaient en déroute. Ils tombaient les uns après les autres… Lame White Man, le chef Cheyenne, reçu une balle en pleine face et s'effondra à quelques mètres de moi.
La bataille ne faiblissait pas... Autour de nous les vies s'amenuisaient sans que l'on ne puisse rien y faire... Je me suis mis à hurler. J'ai couru en direction du général. J'avais l'impression qu'autour de moi tout s'était arrêté... Les balles ne m'atteignaient pas, le vacarme devint un silence... Je ne percevais plus les cris et le bruit ininterrompus des balles.
Notre combat fut déterminé mais rapide. J'ai saisie une arme abandonnée sur un cadavre de l’armée et j’ai donné un coup net dans l’abdomen de Custer, sur le côté gauche. Long Cheveux se mit à rire lorsqu'il vit jaillir son propre sang sur cette tunique déjà souillé par celui de ses ennemis.
Il ne ressentait plus la douleur. Son esprit l’avait abandonné. La mort l'avait déjà choisi. Il savait que la blessure était sérieuse. Son sang s'écoulait de plus en plus. Ne pouvant plus se servir de sa main gauche, qui faisait pression sur son abdomen, le général passa son fusil dans sa main droite. Il le pointa vers moi. Je pensais qu’il allait me porter le coup fatal. Il se remit à sourire et mena lentement son arme sur sa tempe »
Chankoowashtay nous rapporta les derniers mots de Custer : « Ce n’est pas toi qui m’arrachera la vie le Peau Rouge… Personne n’est assez digne pour être le meurtrier du Général George Armstrong Custer ! Je suis une légende, vois-tu ? Et les légendes choisissent toujours leur mort ! »
Le coup de feu partit. Le corps de Custer s’écroula dans les bras de Chankoowashtay. Fatigué par ce combat, il se laissa tomber avec lui. Le guerrier Sioux nous rapporta qu’il ignorait encore combien de temps les affrontements continuèrent après cela. Ce n’est que dans la nuit, qu’un des siens le retrouva aux côtés de Custer. Les troupes des Etats-Unis s’étaient retirées. La bataille repris le lendemain mais face aux pertes de la veille du côté des Américains, la victoire des clans Sioux et Cheyennes s'avéra rapide.
Ma mère fut surprise par la franchise de Chankoowashtay. Il lui rapporta que les mutilations faite à la dépouille de Custer n’intervinrent qu’après la bataille. Elle fut également étonné que cet homme pourtant si combattif se soit finalement donné la mort…
L’heure du déjeuner arriva. Par ce bel après midi, nous décidâmes, ma mère et moi, de partager notre repas avec Chankoowashtay. Nous installâmes une grande couverture sur la paille dans la grange et oubliâmes un instant toutes ses histoires tragiques. Je vis le guerrier Sioux sourire pour la première fois.
Ma mère raconta à Chankoowashtay quelques histoires cocasses qui s'était déroulées ici à Flanagan. Comme la mise bas récente d'une de nos vaches, Annabelle. C'était la première fois que j'assistais mes parents dans ce travail. Son veau, Guideon, était encore frêle et se cachait encore sous les pattes de sa mère.
Chankoowashtay s’amusait des noms que nous donnions à nos animaux à la ferme. Ma mère lui présenta tout le monde de nos chevaux en passant par les quatre lapins qui dormaient dans un clapier en arrière de la grange.
Ce moment de détente fut de courte durée… Le bruit d’une carriole qui se dirigeait vers Flanagan se fit entendre dans le lointain. Je jetai un oeil entre les planches de bois de notre grange et reconnue sans difficulté Tante Kathleen et Samuel.
Nous rangeâmes rapidement notre déjeuner. Ma mère avisa Chankoowashtay de ne pas s’en faire et de rester silencieux. Elle n’était pas vraiment surprise de voir Tante Kathleen arriver à Flanagan. Elle avait très certainement lu la presse et était venu s’assurer que nous étions sain et sauf. En sortant de la grange, ma mère me donna une mission :
- « Dany, nous devons faire en sorte que personne ne s'approche de la grange. Je compte sur toi pour veiller sur ton cousin Samuel et ne jamais le quitter des yeux une minute. De mon côté je me charge d’occuper Tante Kathleen ».
Mon insouciance enfantine trouvait cette situation très exaltante… J’avais l’impression d'être investit d’une mission importante et tout cela constituait presque un jeu… J’étais à mille lieux de me douter que Chankoowashtay ou même nous, courions un grave danger si l’on découvrait ce qui se tramait à Flanagan.
Quand Tante Kathleen gara sa carriole devant notre maison, elle se jeta dans les bras de sa soeur et éclata même en sanglot. Ma tante avait du se faire tellement de mauvais sang. Je n’imaginais même pas ce qui avait dû traverser son esprit durant le long trajet de Sioux Falls à Flanagan.
- « Lorsque j’ai appris l'histoire de cette horrible bataille, j’ai tout de suite eu peur pour Dany et toi, Margaret ! Je savais que ces sauvages allaient finir par devenir dangereux. Depuis plusieurs jours, les journaux ne parlent que des rebelles Indiens qui pillent et brûlent des fermes autour des Black Hills…
J’avais tellement peur qu’il vous soit arrivé quelque chose. Lorsque j’ai vu au loin que la ferme était encore debout j’étais soulagée ». Argumenta Tante Kathleen tout en déchargeant sa carriole de quelques affaires et de vivres qu’elle avait amené en prévision d’un drame.
Tante Kathleen n’aimait pas vraiment Flanagan. Elle trouvait qu’ici nous étions loin de tout et que nous manquions de commodités et de confort.
Ma mère, toujours dans l’optique d’occuper sa soeur, proposa à tante Kathleen de prendre le thé dans l’herbe sous notre grand chêne qui était bien à l’écart de la grange. Elle sortit une couverture épaisse qu’elle prit soin d’étendre sous les branchages les plus généreux. Ma mère apporta le thé et une tarte au citron qu’elle avait cuisiné la veille. Même si nous avions très envie d’aller jouer autour de la maison, Samuel et moi ne pouvions manquer ce goûter.
Les conversations durant cette collation ne tournaient qu’autour de notre supposé départ de Flanagan car Tante Kathleen était venue en espérant nous ramener à Sioux Falls… Je ne disais trop rien mais mon visage témoignait de mon manque d’enthousiasme face à ce projet.
Ma mère avança plusieurs argument pour refuser la proposition de sa soeur. Elle prétexta de devoir s’occuper des bêtes, du potager et faire quelques retouches de peintures sur la maison tant que les beaux jours étaient encore là.
Le sergent Thomas et quelques uns de ses hommes passèrent à cheval, le long du sentier qui longeait Flanagan. Ils étaient toujours à la recherche du Lakota qui leur avait échappé. Le sachant blessé, ils se doutaient qu’il ne pouvait être que dans les alentours de notre ferme. Tante Kathleen avec son flegme habituel, se leva et apostropha les soldats :
- « Messieurs ! venez c’est l’heure du thé ! » lança t-elle sans même discuter avec ma mère de l’invitation de ces hommes… D’ailleurs, son visage devint pâle et je pouvais y déceler de l’inquiétude. Elle savait que le sergent Thomas doutait de notre franchise. Elle craignait qu’il profite de cette invitation pour inspecter de nouveau la grange.
Les soldats et le sergent s’approchèrent. Ils remercièrent les deux femmes pour cette invitation. Ils attachèrent leurs chevaux contre les barrières en rondin de bois qui délimitaient notre territoire et vinrent s’assoir sous le chêne avec nous.
Tante Kathleen leur servit du thé et une part de tarte tout en leur demandant :
- « Puis je savoir pourquoi vous patrouillez autour de la ferme de ma soeur ? je vous avoue que je suis très inquiète… »
Sans plus attendre, le sergent Thomas expliqua les raisons de ses patrouilles. Il parla des trois Sioux qu’il traquait depuis plusieurs jours. Il déclara en avoir tué deux mais que le troisième restait introuvable.
Tante Kathleen fut choquée par cette histoire et se tourna vers sa soeur.
- « Margaret ! Pourquoi ne m’as tu pas raconté cela ! Tu as un sauvage qui rode autour de la ferme et qui menace votre sécurité et tu ne trouves pas judicieux de m’en parler ?!»
Le sergent Thomas semblait se délecter du spectacle que lui offrait les deux personnalités si diamétralement opposées de ma mère et ma tante.
- « Kathleen, je te rappelle que les Sioux ont toujours traversé le territoire de Flanagan. Ce n’est pas un Lakota isolé qui va me faire peur » argumenta ma mère pour tenter de justifier ses silences.
Le sergent Thomas en profita pour faire une description plus poussée de ce guerrier fugitif. Il espérait surement inquiéter un peu plus ma tante avec son histoire :
- « Oui, enfin je vous rappelle madame O’Sullivan que ce Sioux n’est autre que celui qui a tué le Général Custer à la bataille de Little Big Horn. Il est très dangereux. Il n’a pas hésité à lui asséner plusieurs coup de feu et à mutiler son cadavre tel un barbare ! »
Ma mère qui connaissait désormais la version des faits du point de vue de Chankoowashtay, rétorqua avec arrogance au sergent :
- « Nous savons très bien que le général Custer était un homme fier et orgueilleux. Je doute qu’il aurait laissé un guerrier Sioux le tuer. Il n’est pas impossible qu’il se soit lui même donné la mort au milieu de cette bataille perdue… »
- « Quand savez-vous madame O’Sullivan ? Vous semblez bien informée sur ce qui s'est passé sur les plaines de Little Big Horn... »
- « J'aimerai simplement connaitre vos preuves Sergent... Quelles preuves avez-vous pour affirmer que ce Sioux est le meurtrier du général Custer ? Vous êtes pourtant arrivé sur place après la bataille... Quels éléments avez-vous pour accuser cet homme d'avoir tué le général de sang froid ? » répliqua ma mère avec une assurance et un aplomb assez intolérable dans l’époque à laquelle nous vivions.
Tante Kathleen, mal à l’aise, reprit ma mère et lui rappela discrètement qu’elle s’adressait tout de même à une figure d’autorité. Elle tenta de justifier la hargne de sa petite soeur :
- « Margaret et son époux ont toujours été des défenseurs des Sioux… Ce que d’ailleurs je ne comprends pas… Mais réjouissons nous, vous arrêterez bientôt cet Indien et vous pourrez enfin lever le voile sur ce triste jour qu’a été la bataille à Little Big Horn »
Malgré ses tentatives d’apaisement, le sergent et ma mère s’observaient comme deux chats sauvages. Ni l’un, ni l’autre ne semblaient prêts à baisser sa garde.
Le Sergent Thomas en profita pour nous annoncer, avec cette désinvolture qui le caractérisait, que le gouvernement, en représailles de la bataille, avait décidé de confisquer les Black Hills aux Lakotas.
« Nous estimons que ce massacre rend caduque le traité qui leur garantissait la propriété des Black Hills. Les Etats-Unis ont donc décidé d’en reprendre le contrôle, les Lakotas n’ont désormais plus d’autres choix que de se rendre dans nos réserves ou sinon ils seront considérés comme des prisonniers de guerre »
« Il semblerait que la tragédie de cette bataille vous arrange bien Sergent, puisque les Black Hills regorgent d’or et que maintes fois nous avons tenté de nous en emparer… Et bien c’est maintenant chose faite… » répliqua ma mère, peu étonnée par cette nouvelle.
« Excusez moi Madame O’Sullivan, mais votre mari n’est-il pas à l’heure où nous parlons lui même là bas dans les Black Hills pour trouver de l’or et vous sortir de votre condition paysanne ? »
Ces mots du Sergent Thomas mirent fin à cet affrontement verbal. Ma mère malgré sa bonne foi et ses positions passionnées, venait d’être mise devant une vérité dérangeante… Elle aussi portait une part non négligeable dans la décadence de la Nation Sioux.
Après ce goûter assez agité, Samuel et moi partîmes jouer autour de la maison. Comme à notre habitude, nous rejouions les éternelles batailles entre les Sioux et les soldats. J'endossais mon rôle de guerrier Lakota tandis que Samuel s’imaginait être un Général haut gradé et respectable. D'habitude nos jeux de guerres s'achevaient toujours par ma défaite et mon corps gisant près de nos plantations de blé.
Mais cette fois, influencé par les confidences de Chankoowashtay et la récente bataille de Little Big Horn, il ne me paraissait plus impossible de gagner la partie. Samuel s’agaçait de cette nouvelle règle qu’il trouvait absurde.
« Tu triches Dany ! L’Indien c’est toujours celui qui doit mourrir à la fin du jeu ! »
« C’est faux ! La preuve, c'est eux qui ont tué Custer et gagné la bataille à Little Big Horn ! »
L’après midi fila aux rythmes de nos jeux peu innocents. Malgré ces distractions, je n'avais pas oublié les recommandations de ma mère. Et sans qu'il s'en rende compte, je pris soin à plusieurs reprises d'éloigner Samuel de la grange. J’avais hâte que lui et tante Kathleen repartent à Sioux Falls pour pouvoir enfin retourner voir Chankoowashtay.
Mais ce soir là, ma mère préféra leur demander de dormir à Flanagan. Tante Kathleen n’était pas tranquille à l’idée de dormir ici. Elle ne faisait que ressasser les dires du Sergent Thomas. Au moindre bruit qu’elle pouvait entendre dehors, elle sursautait et s’imaginait la venue du guerrier avide de vengeance que lui avait décrit le Sergent durant l’après midi.
Samuel s'était endormi sur le fauteuil de mon père qui se dressait face à notre cheminée. De mon côté, je gardais encore les yeux grands ouverts et mon oreille attentive. J'écoutais ma mère et tante Kathleen se remémorer quelques souvenirs. Elles parlaient tendrement de leur jeunesse avec le Docteur Crowley atour d'une dernière tisane qui embaumait la pièce d'un doux parfum de tilleul. Grâce à cette histoire que ma mère nous avait dévoilé dans la grange avec Chankoowashtay, ce monsieur m'apparaissait clairement et je le considérais désormais comme un véritable membre de ma famille.
C'était la première fois que je constatais une complicité, une similitude entre tante Kathleen et ma mère. Cette vision était réconfortante comme cette odeur de tisane qui ne tarda pas à m'emporter vers le royaume des rêves.
"Parfois quand je t'observe Margaret, dans tes combats, tes convictions, tes forces... Je retrouve cet homme qui nous a élevé comme ses filles, sans jamais rien exiger en retour... Tu es celle de nous deux qui lui ressemble le plus et il serait si fier de toi aujourd'hui !" Lança ma tante après quelques souvenirs qui avaient amené plusieurs sourires.
Ma mère avait envie de se confier à sa soeur sur tout ce qui se passait dans l'enceinte de Flanagan. Mais elle ne voulait pas mettre en danger le Lakota fugitif tant elle était incertaine de la réaction qu'aurait tante Kathleen face à cette histoire.
Ma mère prépara, le plus discrètement possible, un repas pour Chankoowashtay. Elle prétexta devoir aller prendre soin d' une vache malade à l’étable pour s’absenter. Tante Kathleen, qui de toute façon ne prêtait aucun interêt au travaux de la ferme, laissa sa soeur s’éclipser sans se poser la moindre question. Elle se contenta de nous border Samuel et moi avant de nous laisser dormir là où la nuit nous avait cueilli.
Lorsque ma mère entra dans la grange, elle trouva Chankoowashtay dépité et plein d’incertitudes. Il avait entendu une bonne partie de la conversation de l’après midi sous le grand chêne. Il savait désormais que les Black Hills n'appartenaient plus aux Lakotas. Ma mère ne savait pas quoi dire ou faire… Elle se sentait impuissante mais aussi un peu coupable du sort que subissait le guerrier Sioux. Chankoowashtay savait également que mon père faisait parti des chercheurs d’or dans les Black Hills et qu’il était abrité par une famille qui causait malgré elle sa perte.
« Alors comme ça, votre époux, Elliott, est un Wasichu ! » Annonça Chankoowashtay avec une colère qu’il ne tenta pas de dissimuler.
Ma mère ignorait la signification du terme Wasichu mais elle se doutait bien que ce mot Sioux n’était surement pas très reluisant.
« Un Wasichu, c’est un voleur, c’est celui qui vient vous prendre vos richesses, le meilleur de vous. C’est celui qui dégouline d’arrogance, qui n’a pas de principes… Qui se sert le premier, qui piétine les autres… Je croyais que Custer était mon pire cauchemar… Mais être assis ici dans la ferme d’un homme sans honneur… C’est ça l’enfer »
Chankoowashtay contenait tellement de rage et d'incertitudes qu’il tremblait et ne pouvait retenir les larmes qu’il portaient depuis la bataille de Little Big Horn. Ma mère, honteuse, se contenta de poser le repas de Chankoowashtay sur le foin et sans un mot commença à se diriger vers la porte.
Le guerrier Sioux jeta le repas contre l’un des murs de la grange et se mit à hurler.
« Je n’ai pas faim !!! Comment pourrais-je manger alors que je sais désormais que les miens sont en danger, qu’ils n’ont plus de terres, plus d’avenir… Je me suis toujours battu pour que ma femme et mon fils ne finissent pas dans vos réserves. Je veux me battre ! je ne sais faire que ça… J’ai passé ma vie à me battre pour cette terre… Une vie entière et bien remplie. J’ai soutenue nos chefs et accepté vos traités… Et je viens de tout perdre… Je suis déjà mort de l’intérieur ! »
Emporté par sa colère, Chankoowashtay se leva, rassembla ses affaires et annonça à ma mère qu’il préférait partir. Il avait conscience des risques qu’elle et moi prenions pour lui. Malgré la déception qu’il pouvait ressentir à notre égard, il ne voulait pas nous mettre en danger. Mais le guerrier Sioux était encore faible. Il était en sueur. Ma mère posa sa main sur son front.
Chankoowashtay tremblotait et faisait de la fière. Avec les dernières forces qu'il possédait, Il repoussa ma mère qui tentait de le résonner. Alors qu’il s'apprêtait à sortir par la porte de derrière, celle qui fut fatale à ses camarades quelques jours auparavant, il s’écroula et tomba dans l’inconscience.
Ma mère prit soin de le ramener dans la grange et de l’allonger à nouveau dans le foin. Elle resta quelque minutes au chevet du Lakota. Elle serra sa main avec compassion en espérant lui transmettre un peu de ses forces. Chankoowashtay semblait s’être endormi pour la nuit alors ma mère se retira discrètement de la grange.
Tante Kathleen et Samuel repartirent aux premières lueurs du jour. Elle proposa une dernière fois à ma mère et moi de les suivre à Sioux Falls.
« Ne t’inquiète pas pour nous Kathleen je sais ce que je fais ! Et puis Elliott va bientôt rentrer… »
Ma tante savait les différences qui l’opposaient à sa soeur… Mais dans le fond elle avait une admiration sans bornes pour elle et surtout elle l’aimait quelques soit ses choix ou ses positions.
Tandis que nous regardâmes leur carriole s’éloigner sur les routes rocailleuses, nous aperçûmes le Sergent Thomas et ses hommes qui patrouillaient déjà dans le secteur à la recherche de Chankoowashtay. Mais désormais, il semblait baisser les bras… Nous distinguâmes la voix lourde et imposante du sergent Thomas qui annonçait à ses hommes :
« Nous allons abandonner ce secteur… Il semblent évident que l’Indien ne cache pas par ici »
J’avais hâte de retourner voir Chankoowashtay dans la grange. Mais ma mère prit soin de me prévenir qu’il était très en colère et qu’il serait surement peu enclin à discuter aujourd’hui. Nous arrivâmes tout de même avec un petit déjeuner. Le guerrier Sioux était réveillé. Lorsqu’il nous vit entrer, il s’excusa auprès de ma mère pour son attitude de la veille. Elle comprenait parfaitement la rage qu’il accumulait et lui demanda de ne surtout pas s’en excuser.
Chankoowashtay s'interrogeait tout de même sur les motivations de ma famille. C'était rare de rencontrer des gens qui défendaient la cause des Sioux par ici.
« Pourquoi m’aidez vous ? » demanda t-il.
« Mon mari et moi sommes peut être des Wasichu, comme vous dites… Mais n’est-il pas possible de changer ? de voir les choses sous un autre angle et de porter de nouveaux combats ? Je ne vous abrite pas par pitié… Je vous abrite parce que je veux vous apporter pleinement mon aide »
Chankoowashtay garda son visage grave et impartial mais on pu déceler dans ses yeux un sourire qui ne savait plus s'afficher sur ses lèvres. Il commença à manger le petit déjeuner que nous lui avions apporter. Puis, il nous fit signe de nous assoir à ses côtés. J’étais heureux car cela annonçait l’arrivée de nouvelles confidences et de nouvelles histoires.
« J’aimerai, si cela ne vous dérange pas, que vous me parliez de votre époux... »
Chankoowashtay semblait curieux d’en apprendre plus sur mon père. Il voulait savoir ce qui avait poussé un homme si aimé et respecté par sa famille à laisser les siens pour s’aventurer dans les Black Hills.
« Il a connu la misère, l'injustice et la pauvreté… Il mérite plus quiconque le bonheur et la réussite »
Cette introduction était parfaite pour nous mettre en condition. Ma mère s'installa confortablement sur une des meules pour raconter cette histoire. J'étais attentif. Ce récit m'était inconnu. Je le découvrais en même temps que Chankoowashtay.
« Mon mari lui aussi à dû quitter l'Irlande. Il est arrivé par bateau aux Etats-Unis… Même si son histoire est assez différente de la mienne, elle n’en reste pas moins tragique… »
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