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Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Il neigera bientôt sur Pine Ridge : Chapitre 3

Dernière mise à jour : 28 mai 2020

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Le lendemain, sur la route qui nous reconduisait à la ferme Flanagan, les conversations étaient peu nombreuses. Ma mère, silencieuse, se contentait de fixer le guide du cheval qu’elle tenait fermement. De temps à autre notre carriole, remplie de marchandises et de vivres, penchait d’un côté, puis de l’autre, me donnant la désagréable impression que nous allions sortir de la route et finir dans un ravin.


Il faisait une chaleur écrasante et nous avions le soleil en pleine face. Ma mère avait pris le soin de mettre un large chapeau de paille, qu’elle nouait souvent à l’aide d’un jolie foulard de couleur bleue. Il était peu élégant, mais je la trouvait toujours très belle lorsqu’elle le portait. De mon côté, je n’avais pas jugé utile d’emporter ma casquette en feutre. Celle que mon père m’avait offert après l’un de ses voyages à Denver. Je devais donc affronter ce soleil qui cognait sans cesse sur mon crâne et faisait chauffer mes cheveux roux. Je ne pouvais compter que sur ma longue frange pour me protéger des rayons agressifs.


Comme nous ne disions mots depuis des heures... Je me contentais de jouer avec le totem que m’avait donné Chankoowashtay. Je caressais de mes doigts les moindres rainures, les imperfections du bois, les ondulations. Je me passionnais pour ce loup sculpté. Un loup assez métaphorique et poétique, dont les crocs étaient exagérés. Ses yeux larges semblaient observer mes moindres gestes. Mais ce loup de bois était bienveillant. Je l’avais décidé ainsi, il serait désormais mon porte bonheur et mon guide.


« Il est beau ce totem… » lança maladroitement ma mère, pour engager une conversation.


« Qui te l’a offert ?… »


Il n’en fallu pas plus pour attiser mon envie de parler des événements de la veille et de ce Sioux qui m’avait fasciné. Je commençai à raconter notre brève rencontre et surtout l’altercation entre les promoteurs du chemin de fer et les Lakotas. Je ne tarissais pas d’éloges au sujet de Chankoowashtay, déformant même ici ou là, quelques évènements pour assoir un peu plus l’héroïsme de ce guerrier.


Une fois mon histoire exaltante achevée, je ne pu m’empêcher de m’interroger sur ce conflit de plus en plus palpable qui nous opposait aux Lakotas. Il y avait beaucoup d’éléments qui m’échappait dans la colère de Chankoowashtay. Le long discours qu’il avait tenu fasse à la foule et aux promoteurs arrogants, la veille, me paraissait flou et parsemé de zones d’ombres que j’attribuais à mon jeune âge. Je ne comprenais pas totalement que nous étions en train de bouleverser le mode de vie des Sioux et que nos affrontements à venir n’était qu’une question de pouvoir et de progrès.


- "Pourquoi les Sioux sont si en colère maman ?"


- "Oh c’est une bien longue histoire…" soupira ma mère avant de se lancer dans un long monologue, dont elle seule en avait le secret. Elle savait si bien vous faire oublier le temps et vous garder accrochés à ses lèvres…


Elle commença par me parler de l'année 1851 et du traité de Fort Laramie. Un événement majeur et symbolique. Le gouvernement des Etats-Unis réussit l’exploit de faire s’entendre plusieurs Nations Amérindiennes autour d’un texte leur garantissant la propriété des grandes plaines qui traversaient le pays du nord au sud. Plusieurs grand chefs se déplacèrent à Fort Laramie en vue de la signature de ce traité : Little Crow de la Nation Sioux, Black Kettle de la Nation Cheyenne, Left Hand de la Nation Arapaho, Aleek-chea-ahoosh de la Nation Crow, Washakie de la Nation Shoshone, Big Mouth Spring de la Nation Assiniboine, Sitting-Bear de la Nation Arikara et deux guerriers représentant les Nations Mandan et Hidatsa.


Ce texte amenait des frontières claires et pérennes pour les différentes tribus, permettant même d’instaurer la paix entre la Nation Lakota et la Nation Crow. Le gouvernement américain, s’engagea à payer une taxe aux différentes nations lorsqu'il traverserait les plaines ou y installerait des forts militaires.


Ses taxes, allaient permettre aux Premières Nations de devenir plus puissantes et influentes face aux Etats-Unis d’Amérique. Mais les promesses amenaient par ce traité ne furent pas réellement respectées. Dès 1858, seulement sept ans après la signature, une nouvelle ruée vers l’or vit le jour du côté de Pikes Peak dans le Colorado. Les chercheurs d’or, firent très vite pression sur le gouvernement pour récupérer les terres…


En 1861, un deuxième traité fut signé. Un traité plus rude et injuste pour les Amérindiens. Ils voyaient leur territoire morcelé et considérablement réduit, entrainant des déplacements de population qui n’émouvaient que très peu les représentants à Washington. Beaucoup de grands chefs furent désavoués par les leurs, à l’issue de ces négociations. Certaines tribus refusèrent de quitter les terres qu’elles avaient sournoisement perdu avec ce traité.


Tout cela conduisit au massacre de Sand Creek le 29 novembre 1864. Le colonel John Chivington attaqua un village Cheyenne se trouvant en dehors des terres accordées par le gouvernement. Plus de 150 Cheyennes perdirent la vie à Sand Creek, des femmes, des enfants, des vieillards pour la plus part.


Chevington, devint un héros… Celui qui avaient eu le courage de combattre des guerriers cheyennes hostiles à l’armée des Etats-Unis. Mais la véracité des faits rattrapa très vite son prestige. Pas moins de 110 femmes figuraient parmi les victimes du régiment… Un nombre qui ne corroborait nullement avec les dires du colonel, qui affirmait avoir abattu, pour la grande majorité, des hommes rebelles. Chevington ne fut jamais puni pour ses actes… Mais on le poussa à la démission et il retourna à la vie civile en 1865.


Les Sioux Lakotas, craignaient de subir le même sort funeste que les Cheyennes. Ils voyaient les accords passés avec le gouvernement des Etats-Unis, sans cesse bafoués. Des pionniers ne cessaient de traverser leur terres, s’accaparant illégalement des territoires et l’armée ne payait pas les taxes qu’elle avait promis à la Nation Lakota.


Après une guerre de deux ans, le chef Red Cloud obtint la signature d’un nouveau traité en 1868. Un traité symboliquement signé à Fort Laramie. Le gouvernement y affirma que les Black Hills resteraient la propriété des Lakotas. Red Cloud négocia le démantèlement de plusieurs forts militaires ainsi qu’un vaste territoire pour les différentes tribus Sioux.


Mais une nouvelle fois, des violations au traité commencèrent à arriver. En 1874, le général Georges Armstrong Custer, victorieux de la bataille de Washita, ayant couté la vie à de nombreux Cheyenne dont le chef Black Kettle, s’aventura sur les terres Sioux avec 1200 soldats, violent ouvertement le traité de Red Cloud.


Custer y trouva de l’or… Beaucoup d’or. Depuis cela, des pionniers en grand nombre suivaient la piste ouverte par Custer, mais cette fois les Lakotas décidèrent de prendre les armes. Le chef Sitting Bull et le chef Crazy Horse réussirent à rassembler les Lakotas et les Cheyennes afin de défendre leurs dernières terres.


Toutes ces histoires de traités, de tribus et de guerres étaient complexes pour un garçon de mon âge. A dire vrai, je ne me rappelle plus vraiment comment ma mère avait tenté de m’expliquer les affrontements entre mon Pays et les Premières Nations. Il est certains qu’elle m’avait exposé des faits plus simplifiés. Les événements que je vous rapporte ici , sans doute plus lourd et moins innocent, sont avant tout nécessaires pour la compréhension de l’histoire à venir…


Ces faits que ma mère me rapporta, rendirent mon coeur plus lourd. Je ne cernais plus vraiment le bien et le mal, les menteurs et les héros, les opportunistes et les guerriers. Il y avait en revanche une chose que j’avais bien compris : mon père était parti en prospecteur sur des terres qui ne nous appartenaient pas.


Je ne saisissais pas son geste. Il avait grandi au plus près des Sioux Lakotas, lorsque la ferme Flanagan fut construite par mes grands parents, leur territoire était encore vaste. Mon père m’avait souvent conté que plus d’une fois les Sioux leur avaient tendu la main… Durant les hivers difficiles, les sécheresses, les épidémies… Notre famille avait beaucoup appris de leur savoir et de leurs astuces agricoles.


J’avais la sensation que mon père reniait ses valeurs pour l’appel de l’or. Encore une fois, je ne saisissais pas tous les enjeux de notre époque. Nous étions aux portes d’un nouveau siècle, où les technologies se surpassaient les unes les autres, où l’argent et la réussite étaient les véritables garantit d’une vie agréable. Nous étions à une époque charnière où les fermiers de l’ouest devaient se réinventer s’ils voulaient avoir une place dans la société à venir. Mon père savait pertinemment que la ferme Flanagan n’assurerait plus pour bien longtemps notre bien être. Tous les moyens étaient bon pour sortir notre famille du besoin.


« Je sais à quel point les Sioux sont important pour toi Dany, je n’essaie pas de changer ça. J’espère que tu garderas cette ouverture et cette curiosité envers les autres. Mais le monde change, il avance. Le train arrive par chez nous, les villes s’agrandissent. Le monde de demain sera exaltant et nous aurons tous une place et un rôle à jouer ». argumenta ma mère pour apaiser mes doutes.


Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde s’extasiait face aux avancées de la société. Je trouvais notre vie à Flanagan paisible et simple. Je n’avais pas envie que les choses changent. Je ne voulais pas que le chemin de fer s’empare des longues routes rocailleuses que j’aimais tant emprunter avec ma mère. J’espérais que Flanagan resterait pour toujours cette ferme recluse où il est si facile d’oublier le temps et ses contraintes.


Mais à nouveau, je ne distinguais pas à quel point mes parents désiraient ces changements. Je ne voyais que les bons côtés de notre vie paysanne. Mon père et ma mère travaillaient durs, pour peu de revenus. Le temps, que je trouvais si doux à Flanagan était agressif et moins clément avec eux. Mes yeux d’enfants ne voyaient pas à quel point ils étaient fatigués, inquiets et dans l’attente d’une nouvelle vie.


Ma mère enviait beaucoup le quotidien de tante Kathleen et oncle Rodger. Elle espérait que mon père ramènerait de l’or à la maison pour que l’on puisse, à notre tour, nous installer à Sioux Falls et accéder à une vie plus bourgeoise.


Très vite, notre conversation tourna autour de l’oncle Rodger. Il avait parlé, la veille durant le souper, de la grande réserve Sioux. Il avait l’air enthousiaste et surtout impatient de voir les tribus Lakotas du Dakota du Sud rejoindre cette réserve.


Je me méfiais toujours de ce qui rendait oncle Rodger euphorique, généralement cela n’augurait rien de bon.


Le gouvernement fédéral venait de contraindre les Lakotas et les Dakotas à revenir dans les limites de ce territoire. Ils devaient également abandonner les Black Hills sous peine d'être considérés comme hostiles à l'armée des Etats-Unis et de fait, pourchassés.


Même si je n'étais qu'un enfant, je percevais bien que nous nous apprêtions à morceler à nouveau le vaste territoire des Sioux.


- "Mais les Black Hills appartiennent aux Lakotas !"


Ma mère me répondit d'un air désolé :


- " J'ignore ce que le général Custer a derrière la tête... Mais j'ai bien peur que la perte des Black Hills ne soit plus qu'une question de temps..."


Ma mère tenta de rester positive. Elle m'expliqua les bienfaits que pourrait avoir la réserve Sioux... L'éducation, le savoir que l'on apporterait aux Lakotas et la promesse de pouvoir un jour les inclure pleinement dans nos sociétés de progrès. J'ignore si elle pensait réellement ce qu'elle disait... Et pour être honnête j'en doute. Elle voulait surtout rester rassurante face à mes angoisses de petit garçon.


L’optimisme de ma mère m’agaçait. Je ne voyais dans cet horizon que de la désolation et de l'injustice. Je constatais que nous nous apprêtions à bafouer (une nouvelle fois) les termes d’un traité. Comme si notre gouvernement n’avait que faire des promesses faites aux tribus voisines.


Alors que nous poursuivions lentement notre route, toujours sous ce soleil agressif, je comprenais mieux la colère de Chankoowashtay… Je commençais même à la trouver légitime et étrangement je la partageais.


« Moi je n’ai que faire du progrès… J’aurai voulu que rien ne change... que les Lakotas restent vivre près de Flanagan pour toujours ! »


Sur ces mots déçus, je tournai le dos à ma mère. Nous ne nous adressâmes plus la parole jusqu’à la ferme Flanagan. Silencieusement, je me laissai transporter par la beauté des plaines, par son spectacle qui visiblement n’était plus vraiment compris.

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